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Le Rallye Nomade

                                                                                                                                        Par M. Frédéric Velge en 1993



    Pierre Vernes avait commencé à chasser avec la Duchesse d’Uzès à Rambouillet en 1922. Le Rouvray, propriété de ses parents, implantée en plein cœur de la forêt, l’y attirait tout naturellement. L’équipage de Rambouillet était à l’époque l’équipage le plus prestigieux de France, grande école pour beaucoup de jeunes veneurs.
    C’est à la mort de la Duchesse d’Uzès, en 1932, que Pierre Vernes quitta Rambouillet avec des chiens qui étaient déjà les siens et Georges Lefort alors Piqueux de la Duchesse d’Uzès. Et sans s’appeler Nomade encore, il chasse à travers la France le cerf et le sanglier en forêt de Sillé-le-Guillaume, Berc, Tronçay, Orléans et biens d’autres, et ce pendant une saison. C’est en 1934 qu’il forme avec son ami Gromard l’Association du Rallye Nomade.
C’est en 1936 qu’il rencontre le Comte de Brigode à l’Assemblée Générale de la Vénerie et que celui-ci l’invite à reprendre la Forêt de St-Gobain et Coucy-Basse. Il souhaitait trouver un « homme trempé et de bonne stature pour tenir tête haute pendant ces moments difficiles ».
    Rappelons que le Comte de Brigode avait été Maire de la commune de Folembray pendant 62 ans et qu’il était adoré de ses administrés de vieille souche autant que détesté par les folembraysiens importés, tels que les petits bretons « souffleurs de verre » à la verrerie (le cimetière est plein de noms bretons), et ces bretons, profitant de l’époque chaude du Front populaire, voulaient en imposer au reste du village.
    Et c’est en 1936-1937 que Pierre Vernes fait sa première saison en St-Gobain, année de tous les changements puisqu’en mars 1937, Monsieur de Brigode décède dans le pavillon des écuries, laissant derrière lui la reconstruction inachevée de son château, œuvre dans laquelle il avait mis tout son cœur, chose d’autant plus admirable qu’il n’avait pas de descendance directe. C’est en novembre 1937 qu’Antoine Velge acquiert la propriété de Folembray en vente publique et accepte avec grande joie le Rallye Nomade dans ses murs. Les travaux d’achèvement sont repris et terminés 18 mois plus tard.
    La saison suivante se passe dans une ambiance assez animée et 1939 encore plus, puisque la drôle de guerre voit et le Maître et le piqueux rappelés sous les drapeaux.
    Le Général Billote, Commandant en chef des Armées du Nord, de fait virtuellement premier occupant du château enfin achevé, s’y installe avec son Etat-major tout début 1940 et y restera jusqu’à sa mort, le 23 mai 1940, dans un terrible accident d’automobile, en revenant de la Conférence d’Ypres, où il avait rencontré le Roi des Belges et le Général Weygand.
    Pendant la guerre tout est dispersé, disloqué, les chiens sont partis à Villers-Cotterêts et c’est en 1945 que la Rallye Nomade reprenait le chemin de Folembray, après quatre années de guerre et d’occupation et deux années de camp de concentration pour Pierre Vernes et son épouse.
Nous remettions nos chiens dans la voie du cerf, en découplant d’abord pendant deux mois avec Maurice Loubet, puis en terminant la saison à Folembray, où nous prîmes six cerfs.
    Le manque d’animaux et les ronciers impénétrables rendaient les attaques difficiles, voire aléatoires. L’équipage était à l’époque servi par Hubert Lefort, le fils de Georges de la fameuse lignée des Lefort. Georges avait passé la guerre au chenil de Folembray sans chien et Hubert, après sa démobilisation et quelques mois de captivité l’y rejoignit avant de devenir, après le débarquement, chauffeur du Colonel Ramsey, commandant de la base américaine installée à l’ancienne verrerie de Folembray.
    La forêt n’était pas vive en animaux et il eut été virtuellement impossible d’y faire une saison complète. Pierre Vernes établit donc le plan des saisons à venir de la façon suivante, continuant en cela ce qu’avait fait son prédécesseur, le Comte de Brigode pendant de nombreuses années, il ne chassait pas en St-Gobain avant le 15 novembre.
    Premières chasses d’entraînement en septembre, en Basse Forêt de Coucy, plus claire et mieux percée que St-Gobain, puis déplacement à Fontainebleau pendant deux mois, enfin retour à Folembray pour la St-Hubert que l’on fêtait toujours vers la fin du mois de novembre. Le reste de la saison se passait à St-Gobain, avec de nombreux et courts déplacements en forêt de Villers-Cotterêts, à Rambouillet, à Droizelles chez les amis Bacot, en d’autres lieux aussi, sans compter les innombrables incursions en Ourscamp et Laigue, y menant des cerfs attaqués en Coucy-Basse.
    Antoine Velge, devenu châtelain de Folembray en décembre 1937, était en 1945 devenu associé de chenil de Pierre Vernes. En clair, cela voulait dire que l’Association de Folembray, présidée par Henri Turquin, ancien bouton du Comte de Brigode, honneur rare, et composée d’une vingtaine de boutons d’origine parisienne et locale, prenait en charge le Massif de St-Gobain, Coucy-Basse et la Garderie, Pierre Vernes et Antoine Velge prenant de leur côté en charge le chenil, les hommes de vénerie et leurs montures.
Il y avait à cette époque des Boutons Nomades Fontainebleau et Coucy, des Nomades Coucy seulement et des Nomades Fontainebleau seulement et chose étonnante, cela fonctionnait harmonieusement.
Quarante-cinq chiens étaient donc revenus au chenil de Folembray, en partie descendant d’un gris de St-Louis, nommé Québec, chien superbement gorgé, très fin de nez, mais lent. A partir du retour à Folembray, la remonte se fit à la lettre A, ce qui explique que nous ne soyons pas à la lettre de la Société Centrale Canine.
    Bien que séparées, les organisations chevaux fonctionnaient en harmonie avec la vénerie. Les chevaux de Pierre Vernes étaient installés à la ferme, sous l’autorité du prestigieux Rouxel, ex Cadre Noir de Saumur et intrépide cavalier, qui était doué d’un sens de l’organisation qualité nécessaire pour faire face aux nombreux déplacements, et les nôtres étaient aux écuries du pavillon, sous l’autorité de Bayard, autre Cadre Noir, folembraysien de vieille souche, trompe inoubliable et bon veneur. Il fut le professeur de trompe d’un grand nombre d’entre nous.
    Rappelons qu’à cette époque d’après guerre, il n’y avait ni essence, ni véhicule et que toute entreprise autre que pédestre était une aventure. Saufs les grands déplacements qui se faisaient sous l’autorité de Rouxel et à l’intervention de la Maison Joulia, transporteur de cochons, qui venait avec plusieurs bétaillères dont on enlevait le plancher intermédiaire pour y embarquer chevaux, chiens, souvent paille et avoine, seaux et d’innombrables cantines, une cuisine de campagne, lits de camp, etc. et bien sûr toute la sellerie. Pour avoir assisté souvent à ces embarquements et débarquements avec des chevaux, installés tête-bêche sans bat-flanc, dans ces bétaillères, ne possédant pas de ponts, nous en gardons le souvenir du miracle permanent.
    L’armée française ayant récupéré des chevaux allemands, en échange de chevaux français emmenés par les Allemands à la retraite de ceux-ci, nous fûmes un jour avisés par le Colonel commandant les Saphis de Senlis, que ces chevaux pouvaient être mis à la disposition de la vénerie, moyennant une assurance dérisoire. Nous partîmes donc à cinq chercher ces chevaux à Senlis et après en avoir pris livraison à la sortie d’un wagon, nous fîmes la route chacun avec un cheval de main et pendant les 80 km qu’il nous fallait faire au pas, après une courte nuit à la belle étoile. Ces chevaux hanovriens, en majorité, s’avérèrent d’excellentes et robustes montures mais assez caractériels.
     Au cours de notre deuxième saison, le Nomade fut invité par le Gouverneur Widmer à venir découpler en Forêt Noire.
    Arrivé à Tubingen, avec nos chiens et quelques-uns des Boutons, Pierre Vernes ayant retrouvé de nombreux amis, officiers des Saphis comme lui, nous fûmes royalement reçus par le Gouverneur et de nombreux officiers, très intéressés par l’expérience du lendemain qui consistait à attaquer un cerf allemand rembuché par un garde allemand, dans une forêt allemande.
    L’expérience amusante, car nous étions montés sur des chevaux barbes, fut de courte durée, car très vite après l’attaque, la garderie allemande nous fit comprendre, avec quelques tirs à l’appui, que ce mode de chasse était inhabituel dans la région. Nous avions attaqué un très beau cerf.
    A cette époque, Pierre Vernes était assisté de deux lieutenants, André Pilat et Jacques de Fay, deux barons du plateau, deux hommes de caractère très différents, mais très trempés et veneurs expérimentés.
    Les bonnes chasses à l’époque étaient les chasses de débuché, notamment les chasses de Basse Forêt, où il était courant de débucher à peine attaqué. Débuchés vers la Haute Forêt très souvent aussi vers le Bac, l’Ailette, le canal de l’Oise à l’Aisne et de boqueteaux en boqueteaux, vers Ourscamp, et quelques fois Laigue, des parcours de cinq heures et de quatre-vingts kilomètres n’étaient pas rares, car dans ces marécages à blanc d’eau, la voie était rarement bonne et les animaux s’y défendaient bien. C’étaient des chasses de forlonger, où l’animal prenait vite de l’avance en regard aux obstacles naturels, rivière-canal, que les chiens rencontraient, entraînant d’innombrables défauts.
    Le cerf pris, il fallait rentrer et la retraite se faisait au pas avec chiens et chevaux. Nous avions le temps de parler chasse bien sûr, de sonner et souvent de dormir aussi à cheval.
    La Vallée de l’Oise, en bordure de nos forêts, est connue pour ses débordements légendaires. Comme preuve, les couches de gravier de rivière aujourd’hui exploitées intensivement, étaient le paradis des cerfs, car ils s’y défendaient à merveille. Plusieurs centaines d’hectares de débordement, dont les piquets de pâture avaient disparu de la vue, avec des déclivités invisibles, mais de point en point un monticule sur lequel nous pouvions voir notre cerf.
Le spectacle était inouï, mais le chasser impossible ! Nous prîmes néanmoins de nombreux cerfs dans ces conditions.
    C’est aussi à cette époque que mon frère et moi chassions régulièrement le samedi, car Antoine avait demandé à Pierre de mettre ses fils dans la voie du cerf. Mission accomplie, car ils y prirent goût et étaient devenus, grâce à Georges Lefort, d’honorables valets de limier. Cet homme, à l’époque âgé de 70 ans, excellent narrateur, ayant vécu une vie entière au service de quatre maîtres, tous prestigieux, le Marquis de l’Aigle, le Comte de Brigode, la Duchesse d’Uzès et Pierre Vernes, aimait parler Vénerie, Chiens, Trompe… Nous passions des nuits à l’écouter.
Il nous quitta quelques années plus tard, laissant un grand vide.
    Hubert, son fils, d’un tempérament plus froid, convenait mieux en face d’un patron au caractère parfois emporté, qui aimait prendre les décisions et les prenait.
    C’est aussi à cette époque qu’Henri Turquin nous quittait et la présidence revenait à Gaston Rigot, important propriétaire forestier, Maire de Sincenny depuis d’innombrables années. Il était un homme de grande prestance, au caractère noble et élégant. Il avait un don pour arranger les choses compliquées.
Vers les années soixante, apparaît une nouvelle génération de Boutons. Les lieutenants Pilat et de Fay ayant abandonné ou changé de forêts, et les frères Velge ayant été appelés à des fonctions exécutives, étaient devenus par la force des circonstances moins assidus, ce sont deux jeunes, Daniel Profit et Yves Compère qui prennent la relève. Elle fut émaillée de souvenirs et de chasses inoubliables, dont une : « Cerf dix cors attaqué en Basse Forêt et pris après cinq heures de chasses en bordure du mur du château d’Offemont en forêt de Laigue, propriété de notre ami et bouton Jacques Pillet-Will, les chiens de la Futaie des Amis se joignirent aux nôtres quelques instants avant les abois par le plus grand des hasards. Ce fut une centaine de chiens qui tinrent les abois et cet animal fut servi par le jeune et vaillant Alaric de Murga, qui devint quelques années plus tard Bouton au Nomade. »
    Il est amusant de constater qu’en Forêt de St-Gobain, les binômes ont toujours existé : les frères de Chezelles ; Jacques de Fay et André Pilat ; les frères Velge ; Yves Compère et Daniel Profit.
    Gaston Rigot nous quitte le 28 mai 1980 à l’âge de 94 ans et Jacques Legras, Bouton déjà ancien, prend sa succession. Issu d’une vieille famille du Laonnois, installée sur les terres du Besny Loisy depuis trois siècles, il fut quelques temps plus tard nommé lieutenant de Louveterie, succédant dans cette charge à Pierre Vernes.
    C’est en 1975 qu’Hubert décide de prendre sa retraite et c’est avec regret que l’Equipage se résout à une autre formule.
    A l’époque, Messieurs Pontier chassaient régulièrement en St-Gobain et en Ourscamp. La tentation était grande de joindre les deux équipages en un même lieu et sous une même autorité, chacun gardant sa personnalité. Etaient donc au chenil, Serge comme principal et Elysée Dereudre (dit Fanfare), continuant comme valet de chiens. Cent cinquante chiens étaient au chenil de Folembray et, une seule camionnette qui était utilisée quatre fois par semaine. L’expérience fonctionna pendant deux ans, après quoi un constat d’échec fut établi et nous nous quittions bons amis, ce que nous sommes toujours.
    Bernard Daussin, Garde Valet de limier du Rallye Nomade depuis de longues années, assume la reprise comme principal au chenil, tout en gardant ses fonctions de valet de limier.
    Pierre Vernes, secondé par Yves Compère et les Boutons mènent les chiens, Fanfare continuant dans sa fonction de valet de chiens à cheval.
    Et c’est en 1979 qu’arrive la nouvelle vague. Nous les appelions « les jeunes » à l’époque. Ils étaient beaux, percutants, parfois innocents ou imprudents.
Il y eut dans les années qui suivirent, quelques accidents mémorables, où le Docteur Loiseau « un jeune », notre médecin bon samaritain, rendait son diagnostic du haut de sa monture, quand d’aventure, il n’était pas lui-même tombé au milieu d’une harde de biches.
    C’est à la suite de ces événements qu’André Blot fit sortir de presse « Le petit Nomade illustré », narrant de manière amusante tous ces événements.
    Ces jeunes, l’âge aidant, sont devenus sages et forment aujourd’hui l’ossature de l’Equipage. Ils sont souvent fils, petits-fils ou arrière petits-fils de Boutons, c’est le cas de Cyril, petit-fils de Pierre Vernes ou d’Antoine, petit-fils d’Antoine Velge, des Turquin, des de Fay, des Dumont, des Bekeart, des Pillet-Will et bien d’autres.
    Plusieurs vraiment jeunes, douze, vingt ans, suivent l’Equipage d’une façon assidue.
    A l’Assemblée Générale de 1990, Pierre Vernes me passait le fouet. Il mourait en novembre de cette même année, ayant encore suivi ses dernières chasses en début de saison en Jeep. Il nous laisse à tous, le souvenir et l’image d’un homme fort, déterminé, d’un flair inouï, d’un grand caractère. Il avait pris plus de mille deux cents cerfs et de nombreux sangliers dans son existence de veneur, et nous n’avons pas souvenir de l’avoir vu manquer une chasse pour une raison de santé.
    (...)
    Le Rallye Nomade, pas plus que les autres équipages, n’est pas à l’abri des aventures et des difficultés, mais il est prêt à faire face à son avenir avec sérénité.